TOKABANGOU ET L'OUDALAN

 

Ecouter la goumbé, le tambour traditionnel de Tokabangou


Des peuples condamnés par le désert et la politique

Le village de Tokabangou (province de l'Oudalan) est situé à la pointe nord du Burkina Faso, à 2kms du Niger et à 15kms du Mali, dans une région creuset de populations diverses. Le village de 1500 habitants est peuplé d’agriculteurs sédentaires Songhay mais voisine avec des éleveurs nomades Peul et Touareg ainsi qu’avec des commerçants Maures. A 420kms de Ouagadougou, on y accède par une à deux journées de route, selon l’état des pistes et la hauteur des rivières à traverser…

La seule ressource des agriculteurs est le mil, qui donne lieu à une seule récolte par an, au mois de septembre. Conséquences des rudes conditions climatiques et des politiques agricoles désastreuses appliquées depuis les années 1970, les mauvaises récoltes sont fréquentes au Sahel. Les problèmes rencontrés par la population sont de tous ordres : désertification rapide, assèchement des puits, mauvais accès à l’école et aux soins, malnutrition, exode rural, etc.

Mais les paysans sont avant tout victimes de la politique d’un gouvernement crapuleux qui les exclut de tout service de santé et d’éducation. L’école est une condition incontournable dans l’exercice d’une démocratie critique qui rendrait leur poids politique aux peuples.

L’Oudalan et sa capitale Gorom-Gorom sont aujourd’hui peuplées majoritairement de Peul, pasteurs nomades spécialisés dans l’élevage des bovins, plus urbanisés que leurs voisins. Mais la province est foncièrement de culture Tamashek et Songhay. Les Tamashek, plutôt qu’une ethnie, sont un ensemble social regroupant les classes — pour ne pas dire " castes " — d’un ancien peuple du désert, allant des nobles Touareg aux anciens esclaves affranchis sédentarisés Bellah, en passant par les forgerons Gargassa. Oudalan est d’ailleurs le nom d’une ethnie Tamashek qui dominait la région au XIXè siècle. Les Songhay sont des agriculteurs sédentaires peuplant les rives de tout le Moyen Niger. Premiers Noirs islamisés, ils ont fondé au XIVè siècle l’empire le plus vaste et le plus puissant qu’ait connu l’Afrique de l’Ouest. Le Burkina ne compte que 11 villages Songhay dont Tokabangou.

L'exode rural, allié du désert

Ces paysans cultivateurs de mil sont occupés durant les trois mois de la saison des pluies, et les autres neuf mois, aucune perspective d’activité ne s’offre à eux, donc aucune perspective de revenu pour habiller leur famille et la nourrir quand les greniers seront vides, pendant la soudure interminable. Les femmes ont leur place au village ; la société leur assigne un rôle domestique qu’elle peuvent remplir en toute saison : piler le mil, élever les enfants, laver le linge et assurer un peu de maraîchage pendant les deux ou trois mois après la dernière pluie, en tout cas tant qu’il reste un peu d’eau dans le marigot ou dans la nappe phréatique. Mais les hommes partent, leur rôle est de gagner l’argent nécessaire au ménage, fût-ce loin du village.

La migration a une forte vocation initiatique mais les hommes partent aussi pour fuir l’ennui et tout simplement pour préserver leur dignité, pour ne pas se faire une réputation de fainéant, il partent au détriment de la vie de leur village, de son dynamisme et de la réussite des projets qui manquent de bras (par exemple pour l’arrosage en saison sèche des parcelles reboisées). Parfois, quand ils sont allés au collège, ils se rendent en ville pour occuper des postes de fonctionnaires, mais dans l’écrasante majorité des cas, ils partent s’entasser dans les bas quartiers d’Abidjan et des métropoles côtières à la recherche de petits boulots qui suffiront tout juste à les nourrir, même pas toujours à financer leur retour au village pour la saison des pluies. Ce village manque alors de bras pour ses cultures vivrières, ce qui produit l’effet inverse de celui prévu, puisque les récoltes sont moins importantes. L’émigration pose également de lourds problèmes sanitaires puisque des hommes en reviennent parfois avec le virus du VIH qu’ils transmettent à leurs épouses qui le transmettent à leurs enfants.

L’exode rural massif qui frappe le Sahel est un important facteur de désertification. Pour reboiser et cultiver la terre, il faut des bras et des bonnes volontés. Tout projet qui créé de l’activité et améliore l’image du village aux yeux de ses propres ressortissants contribue à freiner cet exode meurtrier pour les sociétés rurales. Les hommes qui cherchent à résister à ce mouvement d’émigration sont minoritaires mais ils existent et demandent d’être pris au sérieux. Ils souhaitent créer leur activité dans leur région d’origine, y vivre dignement loin du tourbillon écrasant de la ville, montrer qu’il est possible de vivre et de travailler au Sahel et éveiller les consciences lentement mais sûrement.

 Soudure : La période de soudure est comprise entre le moment où la population a mangé tout le mil de la dernière récolte et la récolte suivante (le mois d’octobre). En une génération, sa durée a doublé. Dans les familles les plus défavorisées de Tokabangou, elle commence dès le mois de janvier. Celles-ci sont très vite incapables d’acheter leur millet (petit mil) quotidien, alors elles achètent quand elles peuvent du sorgho (gros mil), moins cher mais aux très mauvaises qualités nutritives, et elles réduisent dramatiquement la fréquence des repas, rendant les famines annuelles et la malnutrition permanente.
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 Les Amis de Tokabangou

tokabangou AT no-log.org